Ma vie aujourd'hui
L'après François-Charron
La sortie du Centre François-Charron a signifié pour moi un début de renaissance. J'ai retrouvé peu à peu un environnement domestique qui était complètement disparu de mon existence. J'ai commencé à cultiver l'espoir d'un retour plus ou moins rapide à une certaine normalité. Je ne savais pas à ce moment-là que je faisais fausse route. Quelques mois plus tard, j'ai dû comprendre que les seuls changements bénéfiques sur lesquels je pouvais compter désormais reposaient d'abord et avant tout sur une acceptation de ma condition physique et mentale résultant de mon AVC. Ce fut un dur constat. Je connaîtrais peut-être des améliorations mais ce serait au compte-goutte. Les miracles, ce ne serait pas pour moi.
Mes séances de thérapie avec une orthophoniste ont pris fin quatre mois après ma sortie du Centre. C'est elle qui m'a expliqué qu'elle ne pouvait plus rien m'apporter pour améliorer les fonctions du langage, de la lecture et de l'écriture. J'étais loin d'être satisfait des progrès réalisés dans ce processus de récupération. On m'a expliqué qu'au- delà d'un certain point dans cette démarche les gains à faire dépendaient de moi, de mes efforts personnels et... d'un peu de chance. C'est dans la foulée de ces « recommandations » que je me suis inscrit à un cours de familiarisation avec l'utilisation d'un clavier d'ordinateur (une connaissance que j'ai perdue au moment de l'accident) et à suivre un entraînement en piscine sous surveillance pour essayer de donner une meilleure coordination à mes membres paralysés. Les exercices avec l'ordinateur n'ont pas donné les résultats recherchés. Ma main gauche n'arrivant pas à compenser adéquatement l'inaction de la main droite. Je me trouvais devant une situation un peu paradoxale. D'une part, je ressentais une volonté d'écrire ce qui m'arrivait et, d'autre part, j'étais incapable de faire appel à un outil qui me convenait pour le faire. J'en éprouvais une grande insatisfaction. Heureusement, j'ai connu plus de succès avec les exercices en piscine qui m'ont fait et continuent de me faire beaucoup de bien. J'ai aujourd'hui un meilleur contrôle sur ma main droite. Je ne la « perd » plus dans un moment de distraction. Et mon pied est un peu plus docile même si la douleur est toujours au rendez-vous lors d'une marche.
La solitude qui s'installe graduellement
Quand on est devenu aphasique à la suite d'un AVC, ce qui est mon cas, il faut se méfier de la solitude qui peut s'installer en permanence en soi et ainsi favoriser un repli qui n'aide pas à la reprise de la communication par le langage. On en vient à penser que la difficulté à exprimer ses pensées restreint la capacité de concevoir des idées et même d'avoir des opinions. Les conversations se limitent souvent aux sujets reliés à la maladie puisqu'ils demandent moins d'efforts étant plus familiers. Le silence devient donc une porte de sortie pour éviter des échanges laborieux. On donne l'impression d'être davantage à l'écoute de l'autre, ce qui peut être vrai en partie, mais cela peut cacher aussi une difficulté que l'on n'ose avouer. Il m'a fallu près de deux ans avant de pouvoir tenir une conversation téléphonique de plus de deux minutes.
Le long apprentissage de la parole et de la construction des idées claires
Aujourd'hui, j'ai fait de grands progrès au chapitre de la pensée et de l'expression de mes idées par la parole. Je ne réalise pas toujours cette amélioration mais mes proches m'aident à les noter. Mon débit de langage est encore faible et je perds rapidement le fil de mon discours si je suis le moindrement distrait. Je considère que c'est une petite victoire personnelle et un outil de plus pour éviter l'enfermement dans la solitude. Il n'y a pas de processus établi pour retrouver sa performance intellectuelle d'avant. Je l'ai maintenant compris. Il faut miser sur la volonté et la persévérance. Ah! si j'avais vingt ans de moins........!
Des fenêtres qui s'ouvrent sur le monde des handicapés grâce à l'APIA-AVC
Lors de mon séjour au Centre François-Charron, on m'avait chaudement recommandé de prendre tous les moyens à ma disposition pour écarter la solitude qui ne manquerait pas de s'inviter chez moi. Ce que j'ai vite réalisé. Après les messages de sympathie de la part de mes connaissances rapprochées, le quotidien a repris ses droits pour tout le monde autour de moi me laissant dans un univers très restreint pour poursuivre ma vie. On m'avait parlé d'une association à Québec regroupant des personnes victime d'un AVC. Il s'agit de l'APIA-AVC (l'Association des Personnes Intéressées à l'Aphasie et à l'Accident Vasculaire Cérébral). On y propose toutes sortes d'activités de formation ou de loisir favorisant particulièrement l'apprentissage de la communication et les échanges entre les victimes d'un accident vasculaire cérébral. Sous l'incitation plutôt pressante de mon frère, j'ai accepté de faire un essai comme membre de ce regroupement.
Dès les premières rencontres, j'éprouvai un choc. Je n'arrivais pas à comprendre ce que je faisais au milieu de personnes handicapées dont plusieurs étaient plus lourdement éclopées que moi. Je croyais encore fermement, à ce moment, que pour moi la lumière au bout du tunnel apparaitrait plus ou moins prochainement. Alors que je ne percevais pas cet espoir chez mes nouveaux compagnons et compagnes. J`étais porté à me dire : qu'est-ce que je fais ici? Je me sentais de passage, comme en visite.
Le second choc s'est manifesté après plusieurs mois de fréquentation de ce groupe. J'ai pris conscience que ces gens qui m'avaient généreusement accueilli dès mon arrivée avaient tous une histoire qui leur était propre mais qui ressemblait aussi par certains aspects à la mienne. Eux, ils vivaient avec l'acceptation de leur condition et en misant sur ce que la vie pouvait encore leur offrir. Beaucoup plus jeunes que moi pour la grande majorité, ils partageaient volontiers leur expérience et leur vécu de handicapé sans regret et avec une volonté de ne pas baisser les bras devant les épreuves que la vie avait mises sur leur route. Quelle leçon de courage et de détermination! Je me suis graduellement rapproché d'eux. J'ai appris à oublier quelque peu mes difficultés de langage pour me raconter et échanger avec ces amis d'infortune. Ce fut le point tournant dans la prise de conscience de ma nouvelle vie. J'ai admis que je devais d'abord accepter les conséquences de l'accident qui m'avait frappé de plein fouet et faire en sorte, tout comme les autres personnes handicapées que je côtoyais, que ce qui reste de mes facultés d'hier serve à me bâtir une vie quotidienne relativement intéressante. C'était possible puisque je pouvais tabler sur le témoignage convaincant de dizaines de personnes autour de moi. Cette association a été en quelque sorte une planche de salut pour moi, m'empêchant de sombrer dans le découragement et la grande solitude. Aujourd'hui, quand je participe aux activités de l'APIA, je ne me pose plus de questions sur le sens de mon appartenance à cette organisation. Je dis simplement : c'est MON groupe.
Y a-t-il encore place pour l'espoir et l'appréciation de la vie au quotidien?
Trois ans plus tard, je constate que j'ai beaucoup appris sur moi tout au long de cette épreuve. Rien ne m'avait préparé à connaître et à faire face à une situation aussi dramatique. Dans ma vie passée, je pouvais contrôler de façon satisfaisante tout ce que les aléas du quotidien mettaient sur mon chemin. Ce n'était plus le cas après mon AVC. Je n'avais pas de point de repère et, surtout, pas de mainmise sur mon devenir. J'ai appris, non sans difficulté et quelques pointes de découragement, à lâcher prise par rapport à mes espoirs de récupération. Et j'ai commencé peu à peu à apprivoiser l'acceptation des séquelles de mon AVC que je traînerai tout le reste de ma vie. Je sais maintenant que ce fut le début d'une réconciliation avec mes nouvelles conditions d'existence. Améliorer ma qualité de vie pour les mois et les années à venir ne me semble plus impensable. Je comprends qu'il me reste des capacités physiques et intellectuelles pour élaborer des petits projets à inscrire au jour le jour dans mon agenda. Je sais également que je pourrai encore faire quelques gains, si minuscules soient-ils, pour retrouver des capacités perdues lors de l'accident. L'effort que je mettrai dans cet exercice sera en lui-même une gratification et un certain plaisir. Je n'aspire plus à redevenir celui que j'étais il y a trois ans mais à profiter des changements qui se sont opérés en moi pour faire grandir celui que je suis devenu. Ma vie professionnelle était axée sur la communication. Je compte puiser dans les ressources acquises à cette époque pour agrandir l'éventail de mon petit monde et partager mon vécu et mes nouvelles réflexions avec tous ceux et celles que je croiserai sur les sentiers de ma nouvelle vie.
Les grandes questions qui restent sans réponse pour moi
- Y a-t-il des prédispositions qui expliquent la survenue d'un AVC chez un individu?
- Les antécédents génétiques jouent-ils un rôle important dans ce phénomène?
- Fait-on autant de recherches scientifiques sur les accidents cérébraux que sur les maladies du cœur?
- Où se retrouvent les dizaines de milliers de personnes frappées par un AVC chaque année dans notre pays et qui doivent vivre avec des séquelles parfois très invalidantes?